Cautionnement sur les marchés publics: Les contrevérités du Gecam

Célestin Kamanou Tawamba, le président du Groupement des Entreprises du Cameroun, a adressé une correspondance au ministre chargé des Marchés Publics en date du 26 mars 2025, sollicitant la suspension, à titre conservatoire, de l’application de la lettre-circulaire n°000019/LC/MINMAP du 5 juin 2024.
En date du 26 mars dernier, le président du Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam) a écrit au ministre en charge des Marchés publics. Et pour cause, une nouvelle circulaire de ce ministre a introduit, dans le cadre des marchés publics, non seulement un nouvel acteur dans le processus : la Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC), mais également une exigence des entreprises des dépôts en numéraire de la totalité des cautions auprès des établissements bancaires, ceci en fonction de la valeur toute taxe comprise du marché. Ce qui implique que : pour les cautions de bonne fin et de garantie, 100% de la consignation doit être faite en numéraire, et pour bénéficier de la caution d’avance démarrage 40% doit être déposée, et les 60% restant à la première demande.
Selon le président du Gecam, il faut suspendre cette circulaire. Célestin Tawamba fonde principalement son argumentaire sur trois principaux points majeurs pour justifier cette démarche : la contradiction engendrée par la circulaire par rapport aux articles 13 à 23 de l’Acte Uniforme OHADA ; la contradiction engendrée par la circulaire au regard du règlement COBAC R-2018/01 relatif à la classification, à la comptabilisation et au provisionnement des créances des établissements de crédit ; l’utilisation d’un cadre normatif tel que la lettre circulaire pour une modification substantielle du code des marchés publics.
Toujours selon le Gecam, cette situation entraine : l’incapacité des PME du secteur des BTP à soumissionner aux marchés publics ; l’augmentation de la concurrence accrue et déloyale des entreprises étrangères. Et les conséquences directes seraient : la mortalité programmée des PME de ce secteur d’activité ; l’augmentation du chômage prolongé des employés de ce secteur ; la baisse de la contribution fiscale de ces entreprises.
D’après le GECAM l’Acte Uniforme OHADA du 15 décembre 2010 relatif à l’organisation des sûretés ne fait, à aucun moment, mention d’une obligation de consigner les sommes auprès d’un tiers. Mais, en y regardant de près, les experts pensent que cette position du Groupement des patrons mérite d’être nuancée. « Le GECAM emploie pourtant expressément le terme « consigner ». En effet, au regard de la législation camerounaise notamment l’article 5 de la loi n°2008/003 du 14 avril 2008 régissant les dépôts et consignations, les cautionnements exigés dans le cadre des marchés publics sont désormais considérés comme des consignations administratives. Selon le décret n°2023/08500/PM du 1er décembre 2023, fixant les modalités de transfert des fonds et valeurs dévolus à la CDEC, la consignation est définie comme une mission d’intérêt général. Elle consiste, pour la CDEC en tant que tiers de confiance, à recevoir en dépôts des fonds et/ou valeurs litigieux ou grevés d’une affectation particulière, à les conserver, puis à les restituer aux personnes bénéficiaires. Le GECAM doit dorénavant reconnaître que tout cautionnement dans le cadre des marchés publics doit être assimilé à une consignation, et ne peut être interprété autrement. L’analyse du GECAM reste ancrée dans une vision limitée des sûretés personnelles, alors que la problématique des dépôts et consignations a déjà largement prévalu sur cette approche. », explique notre expert.
Une autre indique que, le droit issu de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) découle principalement des Actes Uniformes adoptés par le Conseil des Ministres, qui instaurent une législation commune aux États membres et régissent les matières identifiées comme faisant partie du « droit des affaires ». Dans cette veine, conformément à l’article 10 du Traité OHADA modifié par le traité de Québec, les Actes Uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États membres, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure. En conséquence, toute norme interne contraire aux Actes Uniformes OHADA doit être écartée, en vertu de la primauté de OHADA.
A ce jour, apprend-on, dix matières font l’objet d’une législation commune aux 17 États membres de l’OHADA. Une lecture croisée des différents Actes Uniformes aurait donc permis au GECAM de constater que la problématique soulevée ne devrait en aucun cas être abordée sous la forme actuellement avancée. « En effet, souligne une source crédible, l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit comptable et l’information financière, au niveau du titre VI, définit les dépôts et cautionnements comme « des sommes versées à des tiers ou reçues de tiers à titre de garantie ou de cautionnement et indisponibles jusqu’à la réalisation d’une condition suspensive ou dépôts que l’entité peut recevoir à titre de garantie ». Cette définition explicite démontre que la matière des dépôts et consignations a effectivement été prise en compte par les textes OHADA ».
Or, il se trouve que, la majorité des entreprises affiliées au GECAM exercent des activités commerciales. Par conséquent, elles sont soumises aux règles applicables aux sociétés commerciales telles que définies par la législation OHADA. Ainsi, la plupart de ces sociétés commerciales ont l’obligation, dans le cadre de leurs opérations, de se conformer à l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit comptable et à l’information financière. En outre, il est important de noter que cet Acte Uniforme prévoit que les montants versés par les entreprises dans le cadre des dépôts et Cautionnement doivent être comptabilisés au débit de leur compte 275 du plan comptable OHADA. De plus, le texte a prévu le compte 2756 pour l’enregistrement spécifique des cautionnements relatifs aux marchés publics qui sont des sommes déposées en vue de garantir la bonne fin de l’exécution d’un marché ou d’une opération.
Il ressort donc sans ambiguïté que les actes uniformes OHADA obligent réellement aux entreprises à verser des montants pour garantir l’exécution d’un marché ou d’une opération auprès d’un tiers, en l’occurrence la CDEC. Le cadre normatif en vigueur au Cameroun n’est donc pas en contradiction avec l’OHADA ; bien au contraire, il s’y conforme parfaitement. Cette législation, qui, elle-même, trouve son fondement juridique dans la législation française, intègre effectivement la matière des dépôts et consignations dans l’environnement juridique des affaires.
Circulaire au regard du règlement Cobac
Le GECAM estime que la lettre circulaire engendrée une contradiction au regard du règlement COBAC R-2018/01 relatif à la classification, à la comptabilisation et au provisionnement des créances des établissements de crédit. Ce règlement en question aborde la classification, la comptabilisation et le provisionnement des créances des établissements de crédit. Toutefois, il apparaît clairement que ce règlement de la COBAC ne couvre pas les enjeux relatifs au cautionnement des marchés publics, qui sont désormais classés comme des consignations administratives. Le texte se concentre exclusivement sur les créances des établissements de crédit.
De plus, les établissements de crédit doivent constituer des provisions spécifiques ainsi que des provisions générales afin de couvrir leur risque de crédit, conformément à l’article 16 du règlement précité. Dans le même esprit, la CDEC applique un mécanisme similaire pour garantir la stabilité de l’équilibre des établissements de crédits. En effet, chaque cautionnement émis par les établissements de crédit devait faire l’objet d’un cantonnement dans un compte CDEC ouvert dans les livres ladite institution, sans que cela n’implique un mouvement de trésorerie susceptible de fragiliser sa liquidité.
L’application stricte de la lettre circulaire, contrairement à ce qui a été annoncé, n’élimine donc en aucun cas une activité cruciale pour les établissements de crédit, notamment face au volume considérable de fausses capacités financières délivrées et aux faux cautionnements émis par les institutions financières dans le cadre des marchés publics.
Les sûretés délivrées par les établissements de crédit ont longtemps été des documents administratifs qui ont causé un préjudice considérable à l’État. Maintenant que ces garanties prennent une forme effective et encadrée, on observe un fort recul de ces entités, alors même que c’est à présent qu’elles auraient dû démontrer leur capacité à accompagner les PME.
De plus, le règlement COBAC R-2018/01 n’interdit pas aux établissements de crédit de proposer à leurs clients des produits adaptés à la nouvelle réglementation en matière de cautionnements sur les marchés publics, conformément aux lois et règlements nationaux. Dès lors, une interrogation légitime s’impose : pourquoi les banques camerounaises ne veulent-elles pas innover, et préférant se contenter de capter les fonds publics déposés dans leurs livres, plutôt que de proposer des solutions adaptées aux besoins actuels ? Voilà la véritable problématique que le GECAM aurait dû soumettre à ses membres, dont la plupart réalisent des travaux d’infrastructure souvent en deçà des standards attendus pour un pays comme le Cameroun.
A titre d’exemple le réseau routier en mauvais état s’est aggravé passant de 69,28% à fin décembre 2023 à 71,07% au 15 juillet 2024 soit une accentuation d’environ 1,8% en l’espace de 7 mois. Sur un linéaire global de 121 873 km, cela représente 86 529,83 km de route en mauvais état. Qui réalise aujourd’hui les routes au Cameroun, et quelles mesures le GECAM a-t-il mises en place pour remédier aux insuffisances constatées ?