Ariel Pierre Ding Enougui: « Face aux menaces, l’alliance devient nécessité »

Le politogue et expert en matière des politiques de défense et de sécurité apporte sa lecture sur la venue du Directeur de la Gendarmerie nationale française, Hubert Bonneau, au Cameroun.

Comment analysez-vous la portée symbolique et stratégique de la visite du Directeur général de la Gendarmerie nationale française au Cameroun ?

D’entrée de jeu, il ne serait pas malvenu de préciser que cette visite rend compte d’une portée symbolique et stratégique significative.

S’agissant de la portée symbolique, il convient ici de rappeler la relation historique entre les deux pays, marquée par une collaboration étroite sur le plan sécuritaire. Cela témoigne, à bien des égards, de la volonté commune de renforcer les liens par le biais de nombreux échanges et partenariats de haut niveau. Sur le plan stratégique, cette visite peut être appréhendée à partir de deux éléments fondamentaux : le renforcement des capacités opérationnelles de la Gendarmerie camerounaise. Cela se traduit par la mise en place d’une série de programmes de formation conjoints, des échanges d’expertise dans le but d’intégrer une approche holistique dans le cadre de la lutte contre les phénomènes criminels transfrontaliers, parmi lesquels figurent en bonne place le terrorisme et la cybercriminalité.

L’influence géopolitique du Cameroun dans le bassin du lac Tchad et le golfe de Guinée.
Cette visite du patron de la Gendarmerie nationale française souligne avec éloquence l’importance du rôle que joue le Cameroun dans la dynamique de lutte contre les atteintes à la sécurité dans cette partie du continent. Il faut donc y voir la volonté de la France de soutenir un partenaire clé qu’est le Cameroun.

En quoi cette coopération bilatérale en matière de sécurité reflète-t-elle les rapports de force ou d’influence entre la France et le Cameroun aujourd’hui ?

Comme cela a été relevé plus haut, la coopération bilatérale en matière de sécurité entre ces deux pays ne saurait être analysée en marge de l’héritage colonial, considéré comme une donnée fondamentale. Elle est de ce fait marquée par une influence significative de la France. Il est ainsi aisé de constater, à travers les doctrines opérationnelles, l’organisation et même les fondements juridiques des forces de sécurité camerounaises, une certaine transposition du modèle français, même si, dans l’ensemble, on y observe une dose d’originalité.

S’agissant du rapport de force proprement dit, il repose essentiellement sur l’expertise technique et l’avantage technologique dont dispose la France. Le Cameroun bénéficie ainsi d’un accompagnement en matière de fourniture d’équipements militaires et de formation, nécessaire à l’atteinte des objectifs face aux multiples défis sécuritaires actuels (terrorisme, grand banditisme…). La France, quant à elle, sait compter sur le Cameroun comme point d’ancrage essentiel à son positionnement géostratégique en Afrique centrale.

Peut-on considérer ce type de partenariat sécuritaire comme une réponse à des enjeux internes spécifiques au Cameroun (sécurité, terrorisme, formation) ou davantage comme une stratégie d’alignement international ?

En effet, ce type de partenariat constitue une réponse significative aux enjeux sécuritaires propres au Cameroun. Compte tenu de la complexité et du caractère laborieux de la lutte contre les phénomènes criminels (terrorisme, piraterie maritime, grand banditisme), il est important, pour un pays comme le Cameroun disposant de moyens opérationnels modestes, de composer avec de nombreux partenaires bilatéraux et multilatéraux afin d’y apporter une réponse efficace et durable.

Quelles pourraient être les implications de cette coopération sur la perception de la souveraineté nationale du Cameroun dans l’opinion publique ou auprès d’autres partenaires internationaux ?

Il me semble tout aussi important de préciser que la coopération sécuritaire, qu’elle soit multilatérale ou bilatérale, n’est pas antinomique à la préservation de la souveraineté nationale. Dans le cas du Cameroun, elle témoigne de sa capacité et de sa liberté de choix. Cela est perceptible à travers la multiplication des partenariats en matière de défense et de sécurité initiés avec d’autres pays amis, parmi lesquels les États-Unis d’Amérique, la Chine, la Russie… Au-delà des considérations souverainistes et du populisme sur fond de panafricanisme, la lutte contre les phénomènes criminels transnationaux ne saurait être envisagée en dehors des mécanismes de coopération multiples, tenant compte du polymorphisme qui les caractérise.

Selon vous, cette intensification des liens sécuritaires peut-elle influencer le climat politique local à l’approche de futures échéances électorales ?

Si l’on invoque justement les exigences liées au respect du principe de souveraineté nationale, cette intensification des liens sécuritaires avec nos différents partenaires ne saurait influencer le climat politique local à l’approche des échéances électorales. Toutefois, cette actualité autour du rapprochement entre Paris et Yaoundé pourrait faire l’objet d’une appropriation par certains leaders d’opinion à des fins essentiellement politiciennes.

Propos recueillis par H. T.

 

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