Justice: Les avocats évaluent leur grève

Le 27 mai dernier à Douala, le collectif « Barreau De Demain » a évalué l’impact de la grève des avocats du 5 au 7 mars 2025, déclenchée contre les violences policières.

Du 5 au 7 mars 2025, les avocats du Cameroun ont suspendu leurs activités pour dénoncer les « violences répétées dont ils sont victimes de la part des forces de maintien de l’ordre ». Initiée par le Conseil de l’Ordre, cette grève a été « unanimement » suivie, saluée par la « compréhension » des magistrats et la « bienveillance » des clients. Mais malgré cette mobilisation remarquable, aucun contact formel n’a été établi avec les autorités publiques, et les effets concrets du mouvement restent limités.

Réuni le 27 mai dernier à Douala pour dresser le bilan de cette grève, le Collectif « Barreau De Demain », actif depuis plus de trois ans pour améliorer les conditions d’exercice de la profession, a livré un constat contrasté : une colère partagée, mais une stratégie d’action encore floue. D’après le Dr. Serge Bakoa Tonye, Avocat aux Barreaux du Cameroun et de Paris, « alors que certains confrères évoquent des pertes de revenus allant jusqu’à 500 000 FCFA sur trois jours, les avocats n’ont obtenu à ce jour ni réaction officielle de l’État, ni avancée judiciaire concernant les violences dénoncées ».

Le mouvement, décidé à la suite d’un communiqué du bâtonnier Me Mbah Eric Mbah, daté du 3 mars, visait à interpeller la société sur le manque de respect envers les avocats. En réaction, les robes noires ont déserté les tribunaux, interrompu le port de la robe, et cessé leurs activités pendant 72 heures. La solidarité judiciaire a fonctionné : « les magistrats ont systématiquement renvoyé les audiences, sauf dans certains cas d’affaires en délibéré. L’impact a toutefois perturbé les délais de traitement des dossiers et l’organisation des cabinets », a expliqué Richard Zibi Ndzinga, Avocat au Barreau du Cameroun.

Dans un souci d’accompagnement, le Collectif « Barreau De Demain » a publié un vade-mecum bilingue destiné à encadrer la conduite des avocats grévistes et à fournir des éléments de langage pour leurs clients. « Une permanence a également été mise en place pour centraliser les retours et soutenir les confrères. De manière générale, la clientèle s’est montrée compréhensive face à ce mouvement jugé légitime », a-t-il précisé.

Cependant, cette action symbolique soulève une question de fond : comment garantir la pérennité et l’efficacité d’un tel geste, en l’absence d’un relais institutionnel ou d’une stratégie post-grève ? Le Conseil de l’Ordre a annoncé des poursuites judiciaires contre les agents mis en cause, et la création d’une commission d’enquête interne a été actée le 23 avril 2025. Mais aucune communication publique n’a, à ce jour, permis de mesurer l’avancée de ces actions.

Pire, selon les observations du Collectif, aucun message officiel des avocats vers les autres corps sociaux : magistrature, police, administration, n’est venu renforcer la portée de la grève. Un déficit de mobilisation extérieure qui réduit la pression sur les autorités et laisse les violences impunies. Comparativement, au Tchad, l’Ordre des avocats a engagé une grève d’un mois à partir du 24 mars 2025, témoignant d’une posture plus offensive.

Certains membres du Barreau camerounais estiment que la durée de la grève aurait dû être prolongée pour peser davantage. D’autres appellent à structurer une réponse durable, incluant un plan d’action à court, moyen et long terme pour restaurer un climat de confiance avec les forces de l’ordre et garantir la sécurité physique et morale des avocats. Au-delà de l’indignation légitime, cette grève révèle un paradoxe : une profession unie mais silencieuse dans l’arène publique. Et pose une question stratégique : sans relais politique ni alliés sociaux, combien de temps la robe noire pourra-t-elle crier seule dans le désert ?

H.T

 

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