Port de Douala: Hommage rendu à Emmanuel Endeley et John Ngu Foncha

En baptisant ses deux nouveaux remorqueurs le 23 juillet dernier, aux noms de figures historiques anglophones, le PAD fait bien plus que moderniser sa flotte : il envoie un message politique à forte charge symbolique.

Le 23 juillet dernier, sur les quais du Port Autonome de Douala (PAD), deux nouveaux remorqueurs flambant neufs ont été accueillis en grande pompe. Au-delà de la prouesse logistique, c’est leur baptême qui a retenu l’attention : Emmanuel Mbela Lifafe Endeley et John Ngu Foncha, deux figures majeures du nationalisme anglophone et artisans de la réunification du Cameroun. Un choix hautement symbolique, salué par une forte présence des autorités administratives et des familles des défunts.

Mais derrière les hommages officiels, des interrogations émergent sur la portée réelle de ce geste. Est-ce un acte sincère de mémoire nationale ou un calcul politique à l’adresse des régions en crise ? Dans les discours, l’intention est claire : inscrire l’action du PAD dans une dynamique de modernisation tout en ravivant la mémoire des bâtisseurs de l’unité nationale. « C’est une manière de montrer que le Chef de l’État n’oublie pas ceux qui ont tout fait pour promouvoir les idéaux ayant permis la construction paisible de notre État unitaire », a déclaré le ministre des Transports, Jean Ernest Masséna Ngallè Bibéhè. Le Directeur général du PAD, Cyrus Ngo’o, parle d’un « ancrage dans la mémoire collective » et d’un « hommage à des pionniers du nationalisme et du fédéralisme ».

Pourtant, c’est bien ce dernier mot, « fédéralisme », qui vient bousculer la narration officielle. Car, pour certains acteurs de la scène politique, Emmanuel Mbela Lifafe Endeley et John Ngu Foncha sont aussi les porte-drapeaux d’une vision aujourd’hui « marginalisée » dans la politique camerounaise : celle d’un État fédéral, garant des spécificités culturelles et linguistiques. Pourquoi maintenant, et pourquoi depuis Douala, capitale économique francophone ? D’autres analystes y voient une tentative de rééquilibrage symbolique, voire une opération de communication à destination des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, toujours en proie à une crise sociopolitique depuis 2016. D’autres encore, y perçoivent une manière subtile de réécrire l’histoire, en intégrant les figures anglophones dans le récit national tout en neutralisant leur portée politique réelle.

Au-delà du choix des noms, la place portuaire apparaît aujourd’hui comme un lieu où se conjuguent enjeux économiques et dimensions symboliques. Présenté comme un pilier de la politique de modernisation impulsée par le chef de l’État, le port de Douala est mis en avant comme un exemple en matière de gestion et d’investissement. Pour Fabrice T. membre de la société civile, « cette visibilité suscite cependant des interrogations sur la place que peuvent occuper les projets infrastructurels dans la construction d’un discours autour de l’unité nationale et de l’efficacité de l’action publique ».

Il indique que dans un système institutionnel caractérisé par une « forte centralisation », les références aux figures historiques telles que Foncha et Endeley rappellent des courants de pensée fédéralistes ayant marqué l’histoire du pays. « Leur mise à l’honneur peut être perçue comme une forme de reconnaissance, bien que leurs revendications initiales soient rarement remises en débat dans le cadre actuel. Cette démarche s’inscrit dans un registre symbolique, où les figures historiques sont valorisées au sein d’un récit national ».

Dès lors, l’hommage rendu à ces deux leaders peut être interprété comme une initiative mémorielle, qui s’insère dans une stratégie plus large de cohésion nationale. La mémoire collective, dans ce contexte, contribue à structurer un récit commun, tout en accompagnant les évolutions institutionnelles et politiques du pays.

H.T

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