Mémoire sur la guerre d’indépendance: Le deuxième mort de Ruben Um Nyobe

rpt

La cérémonie de présentation en version livre du Rapport de la commission mixte franco-camerounaise ayant fait la lumière sur les massacres de la France au Cameroun entre 1945 et 1971 s’est tenue dans une salle vide.

Ruben Um Nyobe et ses camarades morts pour l’indépendance du Cameroun doivent se retourner dans leur tombe. Et pour cause, les Camerounais semblent les avoir jetés aux oubliettes. C’est du moins l’impression qui se dégage à l’issue de la conférence tenue le 1er juillet 2025 à la « Librairie des peuples Noirs » à Yaoundé. Elle était organisée par le Collectif des chercheurs commis par les présidents Paul Biya du Cameroun et Emmanuel Macron de la France.

Après deux ans de recherches, les auteurs devaient présenter au public le fruit de leurs travaux. C’est la célèbre librairie créée par l’écrivain Mongo Beti qui a été retenue pour l’événement. Dans le modeste espace dédié, cinq coauteurs sur les 14 étaient présents. D’autres intervenaient par vidéo-conférence.

A 14 h 30 minutes, heure du début de la présentation du livre, la salle avait accueilli exactement cinq personnes venues suivre. Quelques minutes après, quatre autres personnes font leur entrée dans la salle. Ce qui porte à neuf le nombre de Camerounais ayant fait le déplacement pour venir suivre cette séquence pourtant déterminante de l’histoire du pays ! Ce nombre est resté inchangé jusqu’à la fin de la conférence.

A quoi peut être dû ce quasi-boycott : manque de communication autour de l’événement ? Dépolitisation des masses ? Conséquence lointaine de la criminalisation des nationalistes depuis 1948 ? Appauvrissement chronique des Camerounais obligés d’aller se « battre » pour survivre ? Mystère et boule de gomme.

Malgré cette faible participation du public, les intervenants ont présenté le résultat de leurs travaux. Dans son propos liminaire, le professeur Jean Koufan, a rappelé que « la commission a travaillé en toute indépendance ». Il a également regretté l’absence de nombreux compatriotes qui critiquent le rapport depuis sa sortie. « C’était l’occasion pour nos contempteurs d’apporter leurs contre-arguments pour qu’on en débatte », a regretté l’historien.

Les formes de répression

Sur la répression de la France proprement dite, les archives consultées au Cameroun et en France, ainsi que les entretiens avec les témoins permettent de conclure que la traque des nationalistes a pris plusieurs formes. La répression politique par exemple a consisté pour le pouvoir coloniale dès la création du parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun a créé des organisations sociales et politiques concurrentes. C’est le cas des partis de collaboration comme l’Evolution sociale camerounaise (1949) ou le Bloc démocratique camerounais (1952). Parallèlement, le Haut-commissaire français au Cameroun, Soucardeaux décidait de fragiliser l’UPC devenue très populaire par les affectations disciplinaires de ses cadres. Um Nyobe, Félix-Roland Moumié et ses camarades vont être déployés partout sur le territoire national. La stratégie du colon va produire l’effet inverse. Car les nationalistes profitent pour véhiculer les idées de réunification et d’indépendance à travers le pays.

Qu’ilseur couper l’herbe sous le pied, Roland Pré qui arrive au Cameroun en 1954 décide de ramener la quasi-totalité des cadres de l’UPC à Douala afin de mieux les contrôler et surveiller les événements qu’ils organisent. Cette surveillance va conduire aux événements sanglants de mai 1955. L’administration coloniale en profite pour engager la répression juridico-judiciaire. Le parti nationaliste et ses organisations satellites est interdit en juillet 1955. La radicalisation des Upécistes qui n’avaient pas prévu la lutte armée dans leur stratégie commence après cette interdiction qu’ils décident de contester par la force. Um Nyobe et ses camarades qui avaient cru benoitement à la force du droit vont, de guerre-lasse, créer une branche armée : le Comité national d’organisation. Première action ? Saboter les élections de 1956. Les colons réagissent par le feu. C’est la répression militaire qui va conduire à l’assassinat de Um Nyobe le 13 septembre 1958. Le chef mort, ses lieutenants poursuivent le combat. Mais ils sont tués l’un après l’autre jusqu’au 15 janvier 1971, date de l’exécution du dernier combattant, Ernest Ouandié à Bafoussam. Combien de Camerounais sont morts dans cette répression ? Y a-t-il eu génocide des bamilékés ? La France a-t-elle utilisé le napalm à l’Ouest Cameroun ? Le rapport répond à ces questions.

Quid des réparations ?

Après l’indépendance le 1er janvier 1960, le président Ahmadou Ahidjo va continuer l’entreprise de liquidation des nationalistes. Pour cela, il peut compter par les officiers camerounais qui se montrent tout aussi cruels. Pour mener à bien sa mission de démantèlement de l’UPC, Ahidjo a bénéficié du soutien diplomatique de la Grande, de l’Organisation des nations unies, mais aussi de l’église catholique… A cela il faut ajouter la répression diplomatique. Elle consistait pour le régime de Yaoundé d’obtenir l’expulsion des cadres de l’UPC refugiés dans les pays étrangers ou de museler les intellectuels qui, n’étant pas formellement membres de l’UPC étaient néanmoins mis dans le même panier à « crabes ».

A la question de savoir quel sort leur rapport réserve à la France ainsi que les officiers encore vivants et reconnus coupables par les archives, les historiens répondent : « Nous avons fait notre travail. A la société civile de s’organiser pour demander les réparations ».

Mais au regard du désintérêt des Camerounais par rapport à cette question, faut-il espérer une action devant conduire aux réparations et au jugement des acteurs ?

 

Olivier Atemsing Ndenkop

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