Interview: Amboise Louison Essomba, Analyste Politique

« Un contrôle accru sur ces associations »
À quelques mois de l’élection présidentielle prévue en octobre 2025, le ministre de la Jeunesse a lancé une initiative visant l’enrôlement des associations et mouvements jeunes sur l’ensemble du territoire national. Cette démarche soulève des questions sur ses objectifs réels, sa portée politique et ses impacts sur le paysage électoral.
Selon vous, quelles motivations politiques peuvent se cacher derrière cette initiative du ministre de la Jeunesse, à quelques mois d’un scrutin présidentiel ?
Il est important de souligner que lorsqu’un acte est posé par une autorité politique, il doit être interprété à la lumière de sa portée politique, même si elle agit sous une casquette administrative. À l’approche d’une échéance électorale majeure notamment l’élection présidentielle, un tel acte doit être vu comme une manœuvre politique. Il ne s’agit pas d’un geste anodin. Le recensement lancé récemment des associations de jeunesse suscite des interrogations légitimes. En effet, la majorité de ces associations sont déjà enregistrées légalement et exercent leurs activités dans le respect des textes en vigueur. Dès lors, on peut s’interroger sur la pertinence d’un nouveau processus d’enregistrement. Est-ce un simple doublon administratif ou cache-t-il un agenda politique ? Selon moi, cette opération vise à exercer un contrôle accru sur ces associations à un moment stratégique. Il faut rappeler que nous évoluons dans un État de droit, où les associations de jeunesse sont régies par la loi et reconnues comme des personnes morales de droit privé. Elles disposent de moyens d’action, d’influence et peuvent, en période électorale, servir de relais mobilisateurs auprès des jeunes citoyens.
Le recensement des associations et mouvements jeunes existant à grande échelle peut-elle avoir un impact tangible sur la participation des jeunes aux élections ?
Les jeunes, en particulier cette année, se sont massivement inscrits sur les listes électorales. Cela leur confère un poids réel dans le processus électoral. Par conséquent, ces associations deviennent des cibles stratégiques car elles peuvent représenter un « réservoir électoral ». Il ne s’agit pas ici de les réduire à du « bétail électoral » au sens péjoratif, mais de reconnaître leur potentiel en tant que force politique capable d’orienter le vote. Prenons un exemple concret : dans un quartier comme Douala, il peut exister une cinquantaine d’associations de jeunesse. Si chacune de ces associations regroupe environ 50 membres, cela représente déjà 2 500 jeunes. Et si leurs dirigeants reçoivent des orientations politiques ou des consignes de vote, l’impact sur le scrutin peut être significatif. C’est pourquoi je considère que ce recensement ne peut être perçu comme neutre. Il traduit une volonté de structurer, peut-être même de canaliser, la dynamique juvénile en faveur d’objectifs non déclarés. La jeunesse camerounaise a pris conscience de son rôle et de son influence dans le paysage politique. Les récentes statistiques le confirment : elle est désormais la tranche d’âge la plus représentée sur les listes électorales.
Propos recueillis par Charles Totchum