Présidentielle 2025: La légalité de la candidature de Maurice Kamto en débat
Alors que le Professeur a été investi par le Manidem pour la présidentielle du 12 octobre prochain, le ministre Jean De Dieu Momo affirme que cette candidature est juridiquement irrecevable, invoquant une légalisation invalide et une double affiliation politique. En réponse, le Professeur Moïse Timtchueng démonte ces arguments et accuse le ministre d’instrumentaliser le droit. Regards croisés de deux figures connues du droit.
Jean De Dieu Momo, ministre délégué à la Justice.
Acte 1 : La déclaration de candidature doit être légalisée par une autorité administrative, et non par la police !
La signature du candidat doit être authentifiée devant un officier habilité à légaliser les signatures, c’est-à-dire un officier exerçant une fonction administrative, comme le sous-préfet, le préfet ou le gouverneur. Un officier d’état civil peut également accomplir cet acte, mais pas un agent de police. Dans le droit positif camerounais, la police n’a aucune compétence en matière de légalisation de documents électoraux. Cette fonction relève exclusivement de l’autorité administrative. C’est ainsi que le grand stratège, le « Pape du Droit », est allé lui-même au commissariat faire « légaliser » sa déclaration : Nemo censetur ignorare legem.
Acte 2 : Sur l’unicité d’appartenance à un parti politique
Au Cameroun, et comme déjà rappelé dans un précédent post, le principe fondamental est celui de l’unicité d’appartenance à un parti politique, principe consacré par l’article 3, alinéa 2, de la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques, qui dispose que nul ne peut appartenir à plus d’un parti politique. Or, comme chacun le sait, Maurice Kamto est le président national du MRC. Il ne saurait donc être investi par le Manidem sans avoir, au préalable, démissionné de son parti. L’article 5, alinéa 2, de la loi précitée précise que cette démission préalable doit être faite sous forme authentique, c’est-à-dire par-devant notaire, pour faire foi, et déposée entre les mains du gouverneur de la région compétente, lequel dispose de 15 jours pour la transmettre au Minat, qui en prendra acte.
Ce n’est qu’à partir de la prise d’acte du Minat que l’intéressé peut être investi par un autre parti politique. En l’état actuel, le « Pape du Droit » a violé toutes ces dispositions légales et ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour contester le rejet de sa candidature : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Tout ceci aurait pu être évité si le président du MRC n’avait pas décidé de boycotter les élections locales de 2020, empêchant ses militants de briguer des postes aux municipales et aux législatives. Cela lui aurait permis de briguer aujourd’hui la magistrature suprême en toute sérénité.
Si donc Maurice Kamto, qui n’est pas le fondateur du MRC, mais à qui ce parti politique a été imprudemment confié, conduit un simple parti à la déconfiture totale, qu’en serait-il s’il avait la charge du Cameroun ? Réfléchissons-y. Il a pris le MRC-CRM en main, a conduit ses cadres en prison. Les cadres survivants, qui le connaissent mieux que nous pour avoir partagé son intimité pendant 9 mois d’incarcération, le maudissent et le vouent aux gémonies.
Il a refusé à ses cadres la possibilité de mener une carrière politique dans les mairies et au parlement, et aujourd’hui, il abandonne le MRC en pleine tourmente pour tenter de sauver sa peau politique dans le Manidem !
Que ferait-il s’il prenait les rênes du Cameroun ? A méditer.
Professeur Moïse Timtchueng, Agrégé de droit privé
Sur la prétendue incompétence de la police à légaliser un acte
Les fonctionnaires de la police doivent bien se marrer en lisant les propos de celui qui est, par ailleurs, ministre délégué chargé de la Justice. Par sa sortie, le ministre délégué remet en cause les attributions traditionnelles des auxiliaires de justice que sont les policiers, fragilisant ainsi l’efficacité de tout l’appareil judiciaire. Dans un pays normal, une telle déclaration devrait lui coûter son poste. Personne n’ignore, en effet, que la très grande majorité des actes probants produits en justice émanent de la police, dont la certification confère à ces documents l’autorité nécessaire.
Dans tous les cas, si l’intéressé s’exprime en juriste, il devrait se départir de ses émotions pour simplement fournir les bases textuelles, jurisprudentielles, les principes généraux du droit et, dans une certaine mesure, les sources doctrinales appuyant ses allégations. Curieusement, il ne cite aucun texte, ni du Code électoral précisant l’autorité habilitée à légaliser un dossier de candidature à une élection présidentielle, ni du décret n° 2012/539 du 19 novembre 2012 portant statut spécial du corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale qui leur interdirait d’intervenir en la matière, ni même du décret n° 2008/377 du 22 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives leur réservant une telle compétence.
Plus sérieusement, à la lecture du décret de 2012 portant statut spécial du corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale, il ressort à l’article 2 (1) que : « Le corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale, force régulière, est chargé, concurremment avec d’autres forces, d’assurer le respect et la protection des institutions, des libertés, des personnes et des biens. » Cette mission, suffisamment globalisante, inclut nécessairement la légalisation d’actes — action qui s’inscrit dans l’optique de prévenir les abus portant atteinte aux individus et aux biens. Il s’agit d’ailleurs d’une mission traditionnelle, qui, à défaut de texte formel, découle de la coutume, source du droit.
Dans tous les pays du monde, la police, en tant qu’auxiliaire du ministère public chargé des enquêtes judiciaires, est l’administration compétente pour attester de la sincérité et de la fiabilité d’une signature, tant en amont (dans la formation des conventions diverses) qu’en aval, en cas de contentieux déjà né. Ce n’est qu’en matière d’actes d’état civil que les usages consacrent le monopole des officiers d’état civil, ce qui n’est pas le cas dans l’espèce en analyse. En parcourant le Code électoral et le décret fixant les attributions des autorités administratives, je n’ai trouvé aucune disposition tendant à faire de ces autorités les titulaires exclusifs du droit de légaliser un acte lié à une candidature politique.
Sur la supposée dualité d’affiliation politique du professeur Maurice Kamto
Encore une fois, l’illustre illuminé ne fournit aucune base juridique à son analyse, en dehors de l’article 3 (4) de la loi sur les partis politiques. Je conviens avec lui que la législation camerounaise proscrit l’appartenance simultanée à plus d’un parti politique. Mais, techniquement, cette situation est pratiquement impossible, sauf à imaginer une adhésion concomitante à plusieurs partis. Dans les faits, les adhésions sont successives. Et pour peu que l’on maîtrise les techniques de la science juridique, l’on saurait que toute nouvelle adhésion entraîne de plein droit la révocation de la précédente, ne laissant subsister que la nouvelle.
Les juristes dignes de ce nom savent qu’il est de principe que chaque fois qu’un texte interdit une dualité de statut, toute manifestation de volonté contraire révoque d’office la précédente et place l’auteur, pour l’avenir, sous le seul nouveau statut. Le principe de solution, en cas de conflit, est de ne retenir que la manifestation de la dernière volonté. Dès lors, l’acceptation de l’investiture par un nouveau parti politique rompt instantanément tout lien avec l’ancien parti et place le candidat sous la bannière du parti qui l’investit. Le candidat n’est donc plus, techniquement, celui de son ancien parti, mais bien de celui qui le présente. Point n’est besoin d’une lettre de démission formelle avant l’acceptation d’une telle investiture. Maurice Kamto est désormais le candidat du Manidem, et non plus du MRC, ni d’aucun autre parti de la coalition qui soutient sa candidature.
Rien n’interdit au candidat de démissionner formellement, avant ou après son investiture, mais rien ne l’y oblige. Par l’acceptation de l’investiture d’un autre parti, il rompt de facto tout lien avec son ancienne formation politique et devient d’office membre du nouveau parti. Cette technique juridique est illustrée par de nombreux cas : la perte automatique de la nationalité camerounaise par acceptation d’une nationalité étrangère (article 31 du Code de la nationalité), la révocation de plein droit d’un mandat antérieur par un nouveau mandat portant sur la même mission (article 2006 du Code civil), la caducité d’un testament antérieur par la rédaction d’un nouveau testament sur le même objet (article 1035 du Code civil), ou encore l’annulation des inscriptions précédentes sur les listes électorales au profit de la dernière en date (article 73 du Code électoral). Dans chacune de ces hypothèses, il n’est nul besoin d’une manifestation de préférence explicite : le choix s’impose d’autorité, par la seule volonté du législateur ou du juge. L’article 3 (4) de la loi sur les partis politiques commande la même solution dans le cas hypothétique d’une pluralité d’affiliations.
Quoi qu’il en soit, nulle part, dans l’article 122 du Code électoral — seule disposition fixant la composition du dossier de candidature à l’élection présidentielle — il n’est fait mention d’un acte de démission du candidat de son précédent parti. Ce silence mérite d’être respecté, car il signifie que le candidat n’a aucune obligation formelle de démission. Et puisque la question porte sur un droit fondamental — le droit de candidature ou de participation à la gestion des affaires publiques — toute restriction ne peut être admise qu’en vertu d’un texte formel de loi (article 26 de la Constitution).
La loi sur les partis politiques, souvent invoquée à tort pour soutenir une prétendue obligation de démission formelle, n’a pas sa place dans ce débat. Le formalisme requis pour la création ou la transformation d’un parti est inapplicable lorsqu’il s’agit d’élections. Et d’ailleurs, cette exigence concernerait davantage le MRC, qu’il a quitté, que le Professeur Maurice Kamto lui-même. C’est l’occasion de rappeler la maxime latine specialia generalibus derogant, récemment invoquée — à tort — par un estimé collègue, pour rappeler que la loi électorale prévaut sur toute autre norme en matière électorale. Cette loi se suffit à elle-même pour déterminer les conditions de recevabilité des candidatures.
Si le Professeur Kamto a démissionné expressément en notifiant un acte à la personne habilitée du MRC (secrétaire général ou premier vice-président), ce serait alors au MRC, en tant qu’association privée, d’accomplir les diligences nécessaires pour en informer l’administration, afin d’éviter que celle-ci continue de s’adresser à lui pour les affaires de ce parti.


