Candidature unique de l’opposition: Un consensus réaliste ou une utopie politique ?

Au Cameroun, entre ambitions personnelles, méfiances réciproques et absence de stratégie commune, l’opposition peine à s’unir derrière un candidat unique et les chances d’une alternance au pouvoir semblent compromises.
Comme chaque année, à l’approche de l’élection présidentielle au Cameroun, l’idée d’une candidature unique de l’opposition refait surface. Portée par de nombreux acteurs de la société civile et certains partis politiques, cette proposition semble être, pour beaucoup, la meilleure option pour espérer battre le candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), au pouvoir depuis plusieurs décennies. Pourtant, malgré les discours d’unité que font les leaders politiques, les réalités de terrain dressent un constat plus nuancé : celui d’une opposition morcelée, tiraillée entre ambitions personnelles, querelles historiques et absence de cadre commun. Depuis plusieurs mois, l’idée d’une candidature unique de l’opposition pour la présidentielle de 2025 est régulièrement évoquée. Des figures telles que Maurice Kamto (MRC), Cabral Libii (Pcrn) et Joshua Osih (SDF) ont exprimé leur volonté de changement. Or, tous ces leaders et d’autres, parmi les plus représentatifs de l’opposition camerounaise, sont déjà des candidats déclarés à l’élection présidentielle d’octobre 2025.
En décembre 2023, lors de la convention du MRC au cours de laquelle la candidature de Maurice Kamto avait été annoncée, l’opinion publique apprenait aussi la naissance d’une coalition : l’APC (l’Alliance politique pour le changement). Cette coalition devait agréger partis politiques et organisations de la société civile autour du leader du MRC, mais deux ans plus tard, l’identité de ses membres reste mystérieuse. Aujourd’hui, le constat est clair. Tous veulent succéder à Paul Biya, mais aucun n’est prêt à se ranger derrière l’autre pour permettre d’envisager une alternance à la tête du Cameroun. Maurice Kamto, soutenu par l’alliance pour le changement du Cameroun (APC), cependant, Cabral Libii propose une démarche en plusieurs étapes pour choisir un candidat consensuel, tandis que Joshua Osih prône « une transition inclusive » impliquant toutes les forces politiques, y compris le pouvoir en place. Les divergences idéologiques, les calculs électoraux, mais aussi la méfiance mutuelle entre leaders entrave toute dynamique concrète de convergence.
Les tentatives passées de l’opposition pour s’unir ont souvent échoué. En 1992, alors que le Cameroun organisait ses premières élections générales depuis le retour du multipartisme, l’opposition avait choisi le cardinal Christian Tumi pour une période de transition. Le prélat avait décliné cette responsabilité et John Fru Ndi avait finalement affronté Paul Biya au terme d’une élection contestée qui plongea le pays au bord de la guerre civile. Puis, en 2004, la coalition pour la reconstruction et la réconciliation nationale (Cnrr) n’a pas réussi à présenter un candidat unique, chaque leader préférant maintenir sa propre candidature. À quelques jours seulement du scrutin, John Fru Ndi avait finalement préféré faire cavalier seul, refusant de se ranger derrière Adamou Ndam Njoya. Aujourd’hui, les mêmes obstacles subsistent : egos surdimensionnés, méfiance entre partis et absence de mécanismes clairs pour désigner un candidat commun.
Cependant, sans une volonté politique forte et des compromis sincères, la perspective d’une candidature unique de l’opposition reste incertaine. Au regard de toutes ces divergences, il sera difficile d’avoir une candidature unique de l’opposition en 2025, à en croire le politologue Pierre Borice Menounga. « Chacun voudra défendre ses positions motivées par les intérêts égoïstes. Seuls un art politique, une exceptionnelle capacité de négociation des acteurs, une volonté inébranlable d’alternance conduiront à une candidature unique, ce qui ne garantit pas le changement à la tête de l’État », affirme-t-il. Pour lui, les principales difficultés résident dans l’absence de mécanisme clair pour désigner un candidat unique. L’un des leviers pourrait être la pression populaire. Si les électeurs eux-mêmes réclament une union effective, les partis pourraient être contraints d’écouter. Malheureusement, dans un contexte de répression, de censure médiatique et de désenchantement politique, cette mobilisation peine à s’amplifier.
Rendu à quelques mois du scrutin, la question reste entière : l’opposition camerounaise réussira-t-elle à surmonter ses divisions pour présenter un front uni ? Ou assiste-t-on, une fois de plus, à une utopie politique condamnée à échouer face aux logiques d’appareil et aux ambitions individuelles ? Toujours est-il que, sans stratégie coordonnée, la probabilité de voir l’histoire se répéter semble élevée. Et avec elle, celle d’un pouvoir solidement reconduit, faute d’adversaire capable de cristalliser l’alternative.
CT