Loi de règlement 2023: La Chambre des comptes révèle des détournements

Alors que l’Assemblée nationale a adopté, le 27 novembre dernier, la loi portant règlement pour l’exercice 2023, la juridiction des comptes remet en question les opérations de trésorerie de l’Etat.
C’est un rapport accablant que la Chambre des comptes de la Cour suprême a produit au sujet de la loi de règlement 2023 que l’Assemblée nationale a tout de même adopté, le 27 novembre dernier. La Chambre des Comptes affirme « qu’en raison de l’importance des questions décrites dans la section « Fondement de l’opinion défavorable » de son rapport, les états financiers ci-joints ne sont, dans tous leurs aspects significatifs, ni réguliers, ni sincères et ne donnent en conséquence pas l’image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’Etat, conformément aux règles et normes comptables de l’Etat ».
Pour expliquer pourquoi elle doute des comptes de l’Etat, la Chambre des comptes prend l’exemple de la rubrique des transferts de crédit. La Juridiction révèle que, durant de l’exercice 2023, le Gouvernement a effectué des transferts de crédits en déséquilibre à hauteur de 496 835 677 474 FCFA en débit et 884 535 677 474 en crédit. Cependant, apprend-on, le ministère des finances n’a transmis comme justificatif que le décret du Premier Ministre du 13 août 2024, lui-même en déséquilibre de 20 941 259 818 pour un montant total débiteur de 790 944 974 615 F CFA et créditeur de 770 003 714 797 F CFA.
« Il en découle un reste à justifier d’un montant total débiteur de 192 932 822 401 F CFA et d’un montant total créditeur de 600 674 082 219 F CFA » révèle le rapport de la Chambre des comptes. Elle poursuit : « Réagissant à ce constat, le ministère des Finances a fait tenir à la juridiction des comptes, à titre complémentaire, la copie du décret n° 2023/05044/CAB/PM du 04 août 2023 autorisant le transfert des crédits des chapitres 95 et 57 au profit de certains autres chapitres. (Cf. pièce jointe n°4) Toutefois, des écarts non justifiés persistent ».
Il convient de préciser que le décret du Premier Ministre du 13 août 2024 susmentionné a été pris après la date d’arrêt des engagements au titre de l’exercice sous revue, fixée au 30 novembre 2023, ce qui viole le principe de l’autorisation préalable. La Chambre des Comptes relève que l’engagement de systématisation d’actes règlementaires préalables aux modifications budgétaires pris par le Ministre des Finances d’un exercice à l’autre n’a toujours pas été suivi d’effet.
Au sujet de l’examen de l’exécution des projets à financements extérieurs, permet de constater des discordances sur le montant des plafonds autorisés, entre les données produites à l’article 3 du PLR qui présente une dotation finale révisée de 779,8 milliards et celles de l’annexe n°11 du PLR relative à l’exécution des projets à financements extérieurs qui affiche un plafond révisé de 830,8 milliards, soit un écart de 51 milliards. « Le Ministre des Finances attribue également cette anomalie à l’insuffisance dans la coordination des données relatives à l’exécution du Budget d’Investissement Public, réparties entre le MINFI, le MINEPAT et la CAA. Cependant, il n’a pas procédé à la correction de l’écart. Aussi, la Chambre des Comptes considère-t-elle que ces discordances remettent en cause la sincérité des informations relatives à l’exécution des projets à financements extérieurs », révèle le rapport.
Recettes anormalement faibles
Dans son rapport, la Chambre des comptes relève des « recettes anormalement faibles » en 2023. A titre d’illustration, la taxe de conditionnement sur le bois est de 8000 FCFA. Celle relative aux jeux de hasard et de divertissement est de 18 430 FCFA. La redevance sur les ventes aux enchères de biens réformés de l’administration est de 952 500 FCFA. Les ventes de produits de ferme ont généré seulement 127 770 FCFA toute une année. Les recettes des stades c’est 588 966 FCFA. Les recettes spectacles et des manifestations culturelles ont généré seulement 100 FCFA. Les reversements de la société de recouvrement des créances sont de 4 760 FCFA.
Toutefois, la Chambre des Comptes note qu’avec la mise en place des mesures de sécurisation des recettes annoncées par le Ministre des finances en 2023, certaines recettes concernées par cette anomalie en 2022 ont connu des améliorations.
Financements de la décentralisation
Il ressort de l’exploitation relative aux concours financiers de l’Etat en faveur des Collectivités Territoriales Décentralisées, que le montant de la Dotation générale de la décentralisation (DGD) pour l’exercice 2023 s’élève à la somme de 146 657 597 869 FCFA qui, rapportée aux recettes budgétaires nettes de 2 396,446 milliards FCFA déterminées par le Ministère des Finances, donne un taux de 6,11%, bien loin du minimum de 15% qui s’élève à 359 466 900 000 FCFA, soit une différence de 212 809 302 131 FCFA.
« Le taux de 21,26% annoncé par le Ministre des Finances […] correspond plutôt au poids de l’ensemble des concours financiers de l’Etat d’un montant de 509,710 milliards FCFA, par rapport aux recettes budgétaires nettes sus mentionnées et non au minimum de 15% attendu. En réaction, le Ministre des finances indique que le ratio utilisé par la Chambre des Comptes n’intègre pas les transferts implicites qui devraient être pris en compte dans la détermination de la DGD. Il s’agit notamment des salaires versés aux personnels par les ministères dont les compétences ont été transférées et sont gérées actuellement par les CTD (Santé, Éducation, Culture, Sport…). Il conclut qu’une simulation de leur intégration situe la DGD à plus de 18% des recettes nettes de l’Etat.
La Chambre des Comptes ne partage pas cette approche de détermination de la fraction de la DGD par le Ministre des finances, dans la mesure où les dépenses de personnel et pension ont déjà été exclues par ses soins des recettes nettes ayant servi de base calcul de la fraction de la DGD.
Pour la juridiction des comptes, les salaires ne sauraient à la fois être retirés de la base de calcul des recettes nettes au dénominateur et être intégrés à la DGD au numérateur, au risque de déséquilibrer la fraction. Il en résulte que la fraction de la DGD au titre de l’exercice 2023 est de 6,11% et reste donc inférieur au minimum légal de 15%.
Au total, la Chambre des Comptes constate une divergence persistante avec le Ministre des Finances qui porte en réalité sur : la base des recettes de l’Etat sur lesquelles s’applique le taux de 15%; les éléments constitutifs de la DGD; « les transferts implicites ». Une clarification sur ces points est d’autant plus nécessaire que la fraction des recettes à affecter à la DGD n’apparait toujours pas dans la loi de finances tel qu’exigé par l’alinéa 2 de l’article 25 de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des CTD. Aussi, la Chambre des Comptes recommande-t-elle, en attendant la mention de la fraction des recettes dans la loi de finances de l’exercice 2025 tel que promis par le Ministre des Finances, qu’un texte règlementaire d’application soit pris pour clarifier les points ci-dessus.
Irrégularités sur les Comptes d’affectation spéciale
L’examen des Comptes d’affectation spéciale (CAS) révèlent que des efforts restent à faire concernant certains constats relevés depuis plusieurs exercices et qui portent sur : la faible exécution des recettes et dépenses de certains CAS ; l’insuffisance d’informations sur les dépenses de certains CAS; le non-respect du principe d’intangibilité des soldes ; la non-détermination des soldes de trésorerie.
« Des documents produits par les Agents Comptables de certains CAS à l’issue des entretiens, des discordances ont été relevées entre les informations fournies par ces derniers et celles du PLR produites par le MINFI. En effet, le PLR, ne présente pas de manière fidèle les soldes reportés des CAS », révèle la Chambre des comptes.
Ces discordances résulteraient notamment du reporting précoce et manuel des informations des CAS (donc non exhaustives) vers la Direction de la Comptabilité Publique. Par ailleurs, il a été relevé que le logiciel PROBMIS-CAS n’a pas permis la célérité et la fiabilité sur l’exécution du budget des CAS du fait de la défaillance de l’application à produire de manière automatique certains états de synthèse et de l’instabilité de la connexion internet.
Aussi, la Chambre des Comptes recommande-t-elle au Ministre des Finances de s’assurer, en liaison avec les gestionnaires des CAS, de l’exactitude des informations fournies dans le Projet de Loi de Règlement.
Trois (03) CAS n’ont pas fourni de détails sur leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement effectuées. La situation est récurrente en ce qui concerne le « Fonds Spécial de Développement Forestier ». La Chambre des Comptes observe que « le Fonds Spécial de Télécommunications », « le Fonds Spécial de développement du secteur de l’électricité » et « le Fonds Spécial de Développement Forestier » n’ont pas fourni de détails sur les dépenses effectuées entrainant une difficulté à apprécier la régularité de celles-ci, notamment pour ce qui concerne les dépenses proscrites.