Frank Nana, Président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens du Cameroun (Cnopc): « Le Made in Cameroon pharmaceutique est une urgence sanitaire »
Quels sont les enjeux de cette deuxième édition ?
Pharma Expo en est à sa deuxième édition. Lors de la première, qui s’est tenue à Yaoundé en 2023, il s’agissait de démontrer les capacités des pharmaciens à exercer plusieurs métiers scientifiques. Cette deuxième édition, qui découle des recommandations de la première, porte sur la production nationale, aussi bien en médicaments conventionnels qu’en médicaments traditionnels améliorés.
Quelles sont nos capacités réelles ? Quels sont les moyens dont nous disposons ? Quels sont les défis à relever, les opportunités à saisir pour pouvoir produire localement, sur le territoire camerounais ? Comment encourager cette production ? Comment consommer camerounais ? Et surtout, comment faire en sorte que les scientifiques, après sept années de formation, collaborent avec les autres acteurs de la chaîne de fabrication, aussi bien pour les médicaments conventionnels que pour les médicaments traditionnels améliorés, dans le strict respect de la réglementation et des normes de qualité ?
C’est d’autant plus crucial qu’avec la crise de la Covid-19, nous avons constaté que notre tissu industriel était insuffisant, voire en déclin. Face à ce constat, nous avons décidé, avec l’ensemble des professionnels de la santé, de poser cette problématique publiquement. Nous avons besoin de l’accompagnement de l’État pour concrétiser une véritable politique de production « made in Cameroon » dans le domaine pharmaceutique, afin de faire du pays une plaque tournante de l’industrie du médicament, au moins en Afrique centrale, voire dans toute l’Afrique subsaharienne. C’est pourquoi nous allons inviter des pays comme la Côte-d’Ivoire, le Sénégal ou le Burkina Faso…. Il s’agira de leur montrer de quoi le Cameroun est capable.
Au-delà de ces réflexions, des actions concrètes sont-elles menées pour lutter contre le fléau du médicament de la rue ?
La réponse est oui. Des actions concrètes, continues, sont en cours. Mais nous en demandons davantage, pour qu’elles soient renforcées. Nous avons, par exemple, interpellé les autorités communales afin qu’elles cessent d’octroyer des espaces dans les marchés aux vendeurs illicites de médicaments. Il est inadmissible que des kiosques de vente de médicaments pullulent dans les marchés. Nous travaillons en collaboration avec la douane pour traquer les contrebandiers, et avec les préfectures dans plusieurs villes. Nous saluons le travail exemplaire effectué par le gouvernement de la région de l’Est, zone où l’autorité administrative lutte activement contre la vente illégale de médicaments.
Ce combat est permanent. Nous demandons aussi aux professionnels de santé de ne pas pactiser, ni de près ni de loin, avec les réseaux de vente illicite. Le travail continue, avec le Minsanté qui est notre principal partenaire opérationnel. Des efforts sont également déployés sur le terrain industriel : ces derniers mois, nous participons, avec le Premier ministère, à une grande commission pilotée par le ministère de la Santé, visant à élaborer les textes encadrant la fabrication locale. L’objectif est de réserver une part significative du marché aux fabricants nationaux.
Nous ne pouvons pas rivaliser à armes égales avec les politiques de « Dumping » pratiquées par certains pays asiatiques. D’où notre appel : nous avons besoin du soutien de l’État, de la population et des professionnels. Le made in Cameroon commence avec eux. Nous devons consommer camerounais avant de penser à l’exportation.
Objectifs concrets à court et moyen terme…
Nous espérons qu’à l’issue de ce forum, dans les mois qui suivent, trois à quatre industries pharmaceutiques obtiennent leur agrément. Et que d’ici trois à quatre ans, au moins 10 à 15 % des produits pharmaceutiques soient fabriqués localement. À travers la Couverture Santé Universelle (CSU), nous visons un objectif de 30 à 50 % de médicaments locaux consommés. Du côté privé, nous souhaitons également que nos officines de pharmacie disposent de médicaments fabriqués au Cameroun, à moindres coûts, pour les populations.
Propos recueillis par H. T.

