Affaire Diane Yangwo: Viviane Ondoua dénonce la légèreté de la Justice

Dans un ouvrage en miniature intitulé « Le marteau ne peut pas enterrer la vérité : Plaidoyer pour une justice équitable » qu’elle vient de publier, l’universitaire s’indigne contre le tribunal de grande instance du Wouri qui a prononcé, le 02 avril dernier, une peine de cinq ans de prison avec sursis et une amende de 52 000 FCFA contre Éric Bekobo, l’homme qui a avoué avoir battu sa femme jusqu’à la mort.

« Humainement, l’indignation est à son comble face au verdict assourdissant et glaçant, rendu le 02 avril 2025 par la juge Medou Dany L’Or, du tribunal de grande instance du Wouri. Entre logique et mise en scène tragique, à quel niveau a-t-on rangé l’aveu de Éric Bekobo en 2023, donnant des détails accablants sur la violence exercée sur son épouse Diane Yangwo ! Dans une République, que l’on croit exemplaire, ou de justice pour tous, ce dernier a été condamné à cinq ans de prison avec sursis et à une amende de 52 000 francs CFA. Soit environ 75 euros ou 80 dollars. Rien que ça !

Pour rappel, l’autopsie de Diane Yangwo a confirmé qu’elle est morte des suites de violence physique, de sévices corporels entrainant une hémorragie abdominale interne. Elle était enseignante d’anglais au lycée bilingue de Nylon à Douala. Elle avait un nom, une voix, un métier, une famille, des élèves. Et 16 mois après son décès, la justice camerounaise lui tourne le dos.

Diane aura été tuée deux fois : la première par celui qu’elle appelait « mon mari », la seconde par un système judiciaire qui banalise les violences faites aux femmes. L’acte a été qualifié d’homicide involontaire, passible — selon l’article 289 du Code pénal camerounais — de 3 mois à 5 ans de prison, et d’une amende dérisoire. Mais peut-on encore qualifier d’« involontaire » des coups répétés, une violence répétée dont l’issue tragique était prévisible ? Au Cameroun la mort d’une femme régulièrement battue est-elle un accident, ou l’expression d’un patriarcat meurtrier toléré ?

On s’attendait légitimement à ce que le bourreau de Diane, M. Bekobo, soit poursuivi selon l’article 278 du Code pénal, qui prévoit 6 à 20 ans de prison pour toute personne ayant causé la mort par violence ou voie de fait. Car, nous sommes ici face à un cas manifeste de féminicide, reconnu comme le meurtre d’une femme en raison de son genre. Ce constat est nourri entre autres par les chiffres mondiaux accablants : en 2023, environ 85 000 femmes et filles ont été tuées intentionnellement, dont 60 % par un partenaire intime ou un membre de leur famille (Le Monde, 25 novembre 2024). Cela équivaut à une femme tuée toutes les dix minutes. L’Afrique est la région la plus touchée, avec près de 21 700 victimes cette même année. Le Cameroun a enregistré pas moins de 74 féminicides en 2024. Pire encore, selon Afrobarometer (2021-2023), 63 % des hommes camerounais trouvent justifié qu’un homme « discipline physiquement » sa femme. Un chiffre glaçant, qui révèle l’ancrage culturel d’une violence normalisée. Et en l’absence d’un cadre légal robuste pour protéger les victimes et sanctionner clairement les agresseurs, ces violences s’aggravent, jusqu’à leur expression la plus irréversible : la mort.

Le marteau ne peut pas aplatir la vérité. Mais dans une société où la symbolique du marteau judiciaire semble sceller davantage le silence que la justice, une question cruciale demeure : Jusqu’à quand notre appareil légal se contentera-t-il d’observer, classifier, puis refermer les dossiers, pendant que l’injustice se propage dans l’intimité des foyers ? Ce texte n’est pas neutre. Il est un plaidoyer intellectuel et citoyen pour la vérité, pour la justice, et pour la dignité des femmes camerounaises. Il est le cri de toutes celles qui ne peuvent plus parler.

La justice en échec : une lecture critique du verdict

Le 2 avril 2025, le tribunal de grande instance du Wouri prononce une peine de cinq ans de prison avec sursis et une amende de 52 000 FCFA contre Éric Bekobo, l’homme qui a avoué avoir battu sa femme jusqu’à la mort. Oui, cinq ans avec sursis. Oui, cinquante-deux mille francs CFA. À peine le prix d’un téléphone bas de gamme sur le marché camerounais. Ce jugement, froid et incompréhensible est un coup de poignard dans le cœur de toutes celles et ceux qui croient encore à la justice.

Plus qu’une « blague » judiciaire de très mauvais goût, le verdict du 2 avril 2025 est le symptôme d’un profond malais, où la vérité, la dignité humaine et les droits des victimes sont parfois sacrifiés sur l’autel des procédures, des intérêts politiques ou des logiques de caste voire des « pots de vins ». Quand le droit est appliqué avec une telle légèreté, on est en droit de se demander si la justice camerounaise est encore capable de protéger les plus vulnérables. Je refuse de croire que l’intime conviction tant convoquée par certains puisse, à elle seule, suffire pour légitimer ce verdict. Et même, l’intime conviction tient-elle dans ce cas alors que l’article 93 du code pénal est clair : « la peine ou la mesure prononcée dans les limites fixées ou autorisées par la loi doit toujours être fonction des circonstances de l’infraction, du danger qu’elle présente pour l’ordre public, de la personnalité du condamné, de ses possibilités de reclassements et des possibilités pratiques d’exécution ». Cette décision a-telle tenu compte du danger qu’elle présente pour l’ordre public ?

Dans cette affaire, tout indique que l’article 278 du Code pénal camerounais — qui prévoit une peine de 6 à 20 ans de prison pour quiconque cause la mort d’autrui par violences ou voies de fait — devait être appliqué. Diane n’est pas tombée. Elle n’a pas glissé. Elle n’a pas été victime d’un mauvais sort. Elle a été battue ! Et elle en est morte. Or, au lieu de juger les faits avec rigueur et cohérence, le tribunal semble s’être replié sur l’article 285, qui parle d’homicide involontaire lié à une simple négligence. Une décision qui banalise l’acte et déresponsabilise son auteur.

La justice, ici, n’a pas seulement failli. Elle s’est rendue complice. En laissant passer ce verdict, elle a envoyé un message clair : la vie d’une femme compte pour très peu au Cameroun : moins que le salaire minimum ! Et cela pose une question essentielle, presque philosophique : que vaut une justice qui oublie les morts ? Quelle crédibilité accordée finalement à un appareil judiciaire qui, au lieu de protéger, justifie, excuse ou minimise ?

Dans un pays où la corruption judiciaire est un secret de polichinelle, ce verdict soulève aussi la question de l’intégrité des acteurs du système judiciaire. Qui a intérêt à ce qu’un féminicide soit requalifié en accident domestique ? Pourquoi une procédure aussi grave aboutit-elle à une condamnation aussi dérisoire ? Et surtout, combien de fois cela s’est-il déjà produit, loin des caméras, dans le silence des tribunaux ?

La justice camerounaise doit faire face à ses responsabilités. Elle ne peut pas continuer à fonctionner comme une machine froide, insensible à la souffrance humaine, au nom de procédures et de l’intime conviction des juges. La justice ne se mesure pas seulement en textes de loi. Elle se mesure aussi à la manière dont elle défend la vérité, les victimes, et la dignité humaine. La question ici est de savoir si on peut vivre avec cette décision, si elle est acceptable, plus que d’essayer de justifier le verdict en exploitant les zones d’incertitudes des lois et les flexibilités que celle-ci génère.

Dignement, nouvelle statistique : une victime oubliée

Elle s’appelait Diane Yangwo. Pas « la victime ». Pas « la femme de ». Mais Diane, on pourrait même dire Diane la belle, Diane la douce, Diane notre sœur… Elle était enseignante de langue anglaise au lycée bilingue de Nylon, à Douala. Chaque jour, elle se levait pour transmettre une langue, une culture, une ouverture sur le monde à des centaines de jeunes camerounais. C’était son métier, sa vocation. Les larmes de ses élèves devant son cercueil et les nombreux témoignages de ses collègues prouvent à suffisance qu’elle aimait son travail. Elle avait des collègues, des élèves, une routine. Elle avait des projets.

Mais dans l’intimité de son foyer, Diane vivait une autre réalité, plus sombre, plus silencieuse : celle des violences conjugales. Comme beaucoup de femmes, elle a gardé le silence et a « supporté ». Par loyauté ? Par peur ? Par honte ? Pour ses enfants ? Par espoir, peut-être, que « ça allait s’arranger ». Non, me direz-vous, elle ne s’est pas refugiée dans le silence, elle a tenté de s’en sortir, quelques fois en allant se plaindre à la gendarmerie ; insuffisant pour la protéger de la mort. Ce jour de 2023, son corps n’a plus supporté ; les coups ont été de trop. Diane est morte, sous les coups violents, répétés de son bourreau. Ce drame indigne la population camerounaise, qui pendant plus d’un an, a attendu un verdict pouvant redonner de la dignité à cette jeune enseignante. La vie de cette digne mère de famille est devenue, en un instant, l’objet d’un banal fait divers parmi d’autres. Elle est devenue “une de plus”. Une ligne de plus dans la trop longue liste des femmes tuées sous les coups de leurs conjoints. Et pire encore, “une oubliée supplémentaire” dans le registre des crimes impunis, classés, étouffés, à cause de ce jugement absurde, qui est venu tuer une seconde fois sa mémoire.

Mais Diane n’est pas une statistique. Elle n’est pas un dossier dans un tiroir. Elle n’est pas une ligne dans un rapport d’autopsie. Diane, c’est une voix qu’on a fait taire. Et tant que ce système continue d’éteindre ces voix, c’est notre humanité à tous qui s’éteint un peu plus, chaque fois.

Le jugement rendu dans son affaire a été un choc. Un jugement injuste, presque insultant. Il n’est pas passé inaperçu. Les gens ont réagi, massivement. Des articles ont été écrits, les réseaux sociaux se sont enflammés, des discussions se sont enflammées, et certains mouvements collectifs ont commencé à se mobiliser. Parce que ce cas est le cas de trop. Celui qui est venu montrer, sans filtre à quel point notre système judiciaire s’effondre. À quel point il ne protège plus les victimes, mais semble couvrir les coupables. Ce n’est pas la première fois qu’un tel cas indigne, mais cette fois, l’accumulation de silences, de classements sans suite, de verdicts absurdes a franchi un seuil.

Il ne s’agit pas ici d’un simple « dysfonctionnement », c’est une injustice organisée. Un système tellement lent, corrompu par des largesses incompréhensibles, qu’il finit par banaliser la violence. Le cas de Diane, c’est le reflet d’un système qui, volontairement ou non, continue de dire aux femmes de ce pays que leur vie ne vaut pas grand-chose. 52 000 FCFA. Ce montant est un affront, et voilà ce qu’une vie de femme vaut aujourd’hui aux yeux de la justice camerounaise. C’est brutal, mais c’est la réalité. Ce drame, désormais relayé au-delà de nos frontières, révèle un système judiciaire camerounais incapable de garantir transparence, équité ou réparation. Il semble produire de l’injustice par omission, par corruption, par fatigue, ou par complicité tacite. Il désavoue les victimes et banalise les crimes.

Et c’est pour ça que les gens s’indignent. Parce qu’on ne parle pas juste d’un fait divers. On parle d’un système qui tue deux fois : d’abord par le crime, puis par le silence ou l’indifférence des institutions. On en a marre de compter nos mortes et d’entendre qu’il n’y a rien à faire. Cette fois, ce n’est pas juste une autre histoire triste. C’est un point de rupture. Et c’est peut-être l’occasion de dire : « Stop. » De dire que non, on n’oubliera pas. Que la vie de Diane comptait. Et que ce système, tel qu’il est, ne peut plus continuer comme ça.

Un système qui par son fonctionnement établit une hiérarchie implicite des vies, où être femme, jeune, et camerounaise équivaut à valoir moins qu’un téléphone usagé, ne peut être perpétué. Ce jugement, en plus de trahir la mémoire de Diane, interroge directement sur la place de la femme dans l’imaginaire judiciaire camerounais. Quelle est la valeur d’une femme dans ce pays, si la justice elle-même, au lieu de la protéger, contribue à son effacement ?

Rendre justice à Diane, ce n’est pas seulement punir son agresseur. C’est refuser l’oubli. C’est raconter son histoire, redonner un prénom aux chiffres, rappeler qu’elle a existé. Diane avait des enfants. Ils n’auront plus jamais leur mère. Et ce vide-là, personne ne peut le le combler, encore moins un verdict, ou une amende dérisoire. C’est aussi pour eux qu’il faut se battre. Pour que leur douleur ne soit pas balayée d’un revers de main judiciaire. Pour que plus jamais un enfant n’entende que la vie de sa mère valait 52 000 francs.

Violence, conscience et société : comprendre pour mieux agir

Le drame de Diane ne surgit pas dans le vide. Il émerge d’un terrain déjà abîmé, où l’on a appris, avec le temps, à détourner les yeux. Une société où la violence s’est installée dans le quotidien au point de devenir presque invisible. On en parle avec fatalisme, on la banalise, parfois même on la justifie. Jusqu’à ce que le scandale éclate, et qu’on réalise qu’on a laissé faire trop longtemps.

Mais l’impunité ne commence pas dans les tribunaux. Elle commence bien avant, dans les petites phrases du quotidien : « C’est une affaire de couple », « Elle n’avait qu’à partir », « Il est comme ça, il faut le comprendre ». Elle commence dans les regards détournés, dans les silences gênés, dans les « on ne veut pas de problèmes ».

Alors quand la justice faillit, ce n’est pas juste une institution qui trahit : c’est tout un tissu social qui montre ses fissures. Parce que cette justice, après tout, reflète aussi ce que la société tolère. Elle traduit, souvent trop fidèlement, notre passivité collective. Pourquoi éviter le procès de la société qui entretient des convictions à peine compréhensibles du genre « pourquoi donner de l’ampleur à un phénomène qui n’est pas nouveau » ; « Mon père tapait ma mère, c’est grâce à son silence que nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui et la famille a été sauve » ; « la femme est le socle de la famille, elle doit tout supporter pour le bien de ses enfants et de sa famille ».

Dans le cas de Diane, l’indignation a éclaté, mais elle n’est qu’un contre-feu si elle ne mène pas à une remise en question plus large. Pourquoi faut-il que le scandale devienne viral pour qu’on se soucie d’une femme tuée ? Pourquoi l’on n’écoute que quand la violence devient spectacle ? Et surtout : combien de Dianes vivent encore dans l’ombre, battues, menacées, réduites au silence, sans jamais attirer l’attention ?

Le vrai problème, c’est que nous vivons dans un pays où la tragédie des vies des femmes ne scandalise plus assez. Où l’impunité ne choque plus. Où la justice qui protège les coupables et enterre les victimes est devenue, pour beaucoup, une fatalité. Voilà ce que ce drame révèle. Non pas un cas isolé, mais une logique installée, presque acceptée. Notre société est violente.

Cependant, certains diront que la violence fait partie de la nature humaine. Qu’elle est tapie en chacun de nous, en attente d’un déclencheur. Que ce sont les règles, les lois, l’éducation, la religion ou la culture qui nous apprennent à la contenir. Ce que les psychologues appellent le « Surmoi ». Et qu’en ces temps modernes, où ces piliers s’effritent, il devient presque « normal » que certains passent à l’acte. Quand la religion est désacralisée, l’éducation vidée de sa substance, la loi tournée en dérision, et la culture reléguée à l’arrière-plan, c’est tout le mécanisme de régulation sociale qui vacille.

On pourrait alors penser que la solution est simple : restaurer les cadres. Redonner sa place à l’éducation. Réconcilier les humains avec les valeurs. Renforcer l’autorité des lois. Redonner du sens à ce qui fait une société fonctionnelle. Mais cette explication, si elle éclaire, ne suffit pas. Parce que dans les faits, même les plus violents savent quand, où et sur qui frapper. Un homme qui bat sa compagne ne lève jamais la main sur un supérieur, un militaire, un passant costaud dans la rue. Il choisit ses moments. Il attend l’intimité. Il frappe quand il est sûr de ne pas être vu, de ne pas encourir des représailles. Il calcule. Et ce calcul montre qu’il sait que ce qu’il fait est non seulement condamnable mais ne l’expose à aucun risque.

Ce n’est donc pas qu’un problème de subconscient ou de censure absente. C’est un problème de pouvoir, de domination, et surtout de moralité. Ce n’est pas que l’individu ne sait pas que c’est mal. Il le sait. Il a juste appris qu’il pouvait s’en tirer. Que le système ne dira rien. Que la société détournera les yeux. Alors, non. Ce n’est pas juste la violence d’un être « déséquilibré ». C’est une violence de quelqu’un qui sait exactement ce qu’il fait. Et c’est encore plus grave.

La vraie faille n’est pas seulement dans les individus violents, elle est dans la société qui les protège, les excuse, ou les ignore. Une société où la peur a changé de camp : ce ne sont plus les bourreaux qui redoutent la justice, ce sont les victimes qui craignent de parler, de ne pas être crues, d’être jugées à leur tour.

Le poids des chiffres, le silence des lois : comprendre l’angle mort légal

Appeler les choses par leur nom, c’est déjà commencer à les combattre. Diane n’est pas morte dans un simple « accident domestique ». Elle a été tuée. Ce qu’elle a subi s’appelle un féminicide, même si ce mot semble encore étranger à notre arsenal juridique. Et c’est là que commence la mort : dans cette incapacité de la loi à nommer, reconnaître et donc punir les violences meurtrières faites aux femmes comme des crimes spécifiques. Je me souviens alors des propos du journaliste Bobiokono dimanche le 7 avril sur le plateau de Bnews et commentant cette affaire revendiquer qu’il ne soit pas accordé une justice spéciale aux femmes mais que ce soit des principes à accorder à tous. Prendre cette position c’est ignorer la nature spécifique du féminicide qui s’accompagne d’une domination et d’un rapport de force hérité de la société et que celle-ci devrait contribuer à corriger grâce à des dispositions spécifiques.

En l’absence d’un cadre légal qui reconnaît explicitement les féminicides, le système judiciaire camerounais fonctionne avec des outils inadéquats. Les peines sont souvent dérisoires, les affaires classées sans suite ou jugées avec une lenteur qui décourage les victimes et les familles. Le message est clair : tuer une femme dans l’intimité du foyer ne fait pas assez de bruit pour alerter la justice. Pourtant, les violences faites aux femmes sont tout sauf privées. Elles sont le symptôme visible d’un déséquilibre profondément enraciné dans notre société. Tant que le droit ne reconnaît pas cette spécificité, tant que les institutions ne s’équipent pas pour la combattre, ces violences continueront d’être tolérées, voire justifiées.

Et les chiffres le confirment. En 2023, le MINPROFF a révélé une hausse de 22 % des violences domestiques par rapport à 2022. Derrière ce pourcentage, il y a des visages, des cris, des espoirs brisés. Et malgré l’évidence de l’urgence, aucune infraction nommée « violence conjugale » n’existe explicitement dans notre Code pénal. Ce vide juridique est d’autant plus alarmant qu’il s’inscrit dans un contexte culturel où la bastonnade d’une femme reste, dans plusieurs communautés, un mode de régulation admis. C’est une vision archaïque, profondément sexiste, qui continue de faire des ravages.

Et pendant ce temps, des femmes meurent. En 2024 seulement, la liste est déjà insoutenable : • Madame Roukayatou, 25 ans, gardienne de la paix à Bertoua, battue à mort par son conjoint. • Fortune, 17 ans, violée, battue, le cou brisé par son petit ami. • Mispa Noumi, mère de 5 enfants, fusillée par son mari pour avoir tenté de fuir les violences. • Rahilou, 26 ans, assassinée et mutilée après seulement huit mois de relation. • Alida, dont le meurtre brutal à Douala a bouleversé tout un quartier : elle est morte en tentant de fuir, et ceux qui ont voulu l’aider sont morts avec elle.

Cette liste n’est ni complète ni exceptionnelle. Elle illustre simplement une norme silencieuse, une tragédie nationale banalisée par l’absence de mots et d’actions fortes. Ce décalage entre l’évidence des statistiques et l’absence de réponses concrètes révèle un malaise plus profond : la souffrance des femmes ne compte pas dans les priorités nationales. Elle est connue, mesurée et même documentée… mais pas digne d’une réponse institutionnelle à la hauteur. Un seul cas suffit pour s’indigner et pourtant les cas sont connus et relayés, ils ne sont pas tous captés mais le peu qui l’est suffit pour nous imposer une action digne de ces femmes qui ne demandent qu’à être aimées ou simplement répudiées mais pas tuées.

Ce mutisme institutionnel est le résultat d’un système juridique déconnecté des réalités sociales. En droit camerounais, il n’existe aucune reconnaissance spécifique de la violence conjugale ou du féminicide. On parle de coups et blessures, d’homicide volontaire, d’assassinat. Des catégories génériques, neutres, qui effacent le genre de la victime et la dimension systémique de la violence. Et cette neutralité est loin d’être anodine : elle ridiculise à la limite toute politique publique ciblée, tout financement spécifique, toute action de prévention à la hauteur du problème. Elle transforme la lutte contre les violences faites aux femmes en une bataille militante et isolée, là où elle devrait être une priorité nationale. Ce n’est pas seulement l’apanage des féministes, c’est un devoir de tous.

Le grand et cruel fossé entre les faits et les lois est d’autant plus incompressible que les femmes ne meurent pas en silence. Elles portent plainte, elles fuient, elles alertent, elles se battent pour leur survie. Mais que peuvent-elles attendre d’un système où les procédures traînent, où les bourreaux ressortent libres, où l’impunité est la norme ? Dans certains cas, même les forces de l’ordre conseillent de « rentrer discuter en famille », renvoyant les femmes dans l’antre de leur bourreau. Pire encore, l’absence de lois claires permet à certains agresseurs de se réfugier derrière les coutumes ou la religion, pour justifier leur domination. Rappelons-le, dans de nombreuses communautés, la violence physique ou psychologique est vue comme un outil disciplinaire légitime, renforçant ainsi l’idée toxique d’une femme « à corriger ».

Les chiffres ne mentent pas, mais la loi les ignore. Et tant que ce fossé existera, les victimes continueront de tomber, sans justice, sans reconnaissance, sans mémoire collective. Des données de plus dans des statistiques macabres. Il est temps que le Cameroun se dote d’une loi-cadre contre les violences faites aux femmes. Une loi qui nomme, reconnaît, prévoit, protège, et surtout, sanctionne. Car tant que les violences conjugales resteront des « drames privés », les femmes continueront de mourir dans le silence, la honte ou l’indifférence. Un silence est plus épais que les cris des victimes.

Que faire ? Plaidoyer pour une loi-cadre contre les violences faites aux femmes

Face au constat accablant, il ne suffit plus de s’indigner. Loin de toute émotion et en tout pragmatisme, il faut agir, légiférer, transformer. Une loi-cadre contre les violences faites aux femmes n’est plus un luxe ou une revendication militante : c’est une urgence nationale. Aujourd’hui au Cameroun, le système judiciaire s’appuie sur des dispositions générales du Code pénal – coups et blessures, homicide, viol – sans jamais tenir compte du contexte sexiste, ni des dynamiques de pouvoir spécifiques aux violences de genre. Le mot “féminicide” n’existe pas dans la législation, pas plus que la “violence conjugale”. Les femmes sont donc tuées dans l’indifférence structurelle, comme si leur assassinat ne méritait pas de nom, pas de traitement spécifique, pas de reconnaissance.

Pourtant, plusieurs pays africains ont fait le pas. Sans être exhaustif, le Maroc, le Sénégal, le Kenya, le Burkina Faso, se sont dotés de lois spécifiques contre les violences fondées sur le genre, reconnaissant juridiquement leur nature systémique. Ces lois permettent non seulement de définir clairement les infractions, mais aussi de prévoir des mécanismes de protection des victimes, de poursuite renforcée des agresseurs, et de prévention à travers l’éducation et la formation des forces de l’ordre. Une telle loi-cadre au Cameroun devrait : Reconnaître légalement toutes les formes de violence faites aux femmes : physique, psychologique, économique, sexuelle, conjugale, sociale ou institutionnelle ; • Créer une infraction spécifique de féminicide, afin de visibiliser le caractère genré de certains homicides ; • Instaurer des mécanismes de signalement et de prise en charge des victimes, en intégrant des cellules d’écoute dans les commissariats, les hôpitaux, les tribunaux ; • Prévoir des peines aggravées en cas de récidive ou de circonstances aggravantes (violence devant enfants, violence conjugale prolongée, humiliation publique, etc.) ; • Assurer une éducation obligatoire sur l’égalité femmes-hommes dans les programmes scolaires ; • Former systématiquement les acteurs judiciaires et policiers à la prise en charge des violences de genre.

L’adoption d’une telle loi ne réglerait pas tout. Mais elle aurait une puissance symbolique et structurante immense : elle enverrait un message fort aux agresseurs que la société ne les protège plus. Elle redonnerait aux femmes un droit à l’existence, à la dignité, à la parole. Elle offrirait aux victimes un cadre de recours clair, sécurisé et adapté, loin du flou actuel qui favorise la médiation ou la pression familiale au détriment de la justice. Une loi-cadre, c’est un tournant historique. C’est dire, enfin, que le Cameroun reconnaît que les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, mais des crimes systémiques. Que la vie des femmes ne peut plus être sacrifiée au nom du silence, de la honte, ou de la tradition. Sans loi, pas de justice. Sans justice, pas de paix.

Conclusion – Pour que Diane ne soit pas morte pour rien

Le marteau peut faire taire une vie, mais il ne pourra jamais enterrer la vérité. C’est cette vérité que nous portons aujourd’hui, celle de tant de vies de femmes brisées, violentées, effacées dans le silence des foyers, des tribunaux et parfois même des communautés complices. En évoquant le marteau – symbole à la fois du juge et de l’agresseur – nous pointons cette ambiguïté glaçante : entre la justice qui tarde ou échoue à punir, et la violence qui se répète, souvent justifiée ou excusée. Mais nous refusons que ce symbole serve à sceller l’impunité.

Le marteau ne peut pas enterrer la vérité. Mais dans une société où la symbolique du marteau judiciaire semble sceller davantage le silence que la justice, une question cruciale demeure : jusqu’à quand notre appareil légal se contentera-t-il d’observer, classifier, puis refermer les dossiers, pendant que l’injustice se propage dans l’intimité des foyers ? Quand est ce que notre système intègrera que protéger les plus vulnérables n’est pas une faveur, mais un devoir institutionnel ? Diane n’est pas morte d’un accident domestique. Elle est morte d’une violence légitimée, tue, ignorée, parfois même encouragée. Elle est morte dans une société qui, trop souvent, excuse les bourreaux au nom de la culture, du mariage, ou du silence. Et pourtant, Diane n’est pas seule. Elle est le visage d’une tragédie collective : celle des femmes, des filles, parfois même des garçons et des hommes, victimes de violences basées sur le genre – physiques, psychologiques, sexuelles, économiques ou symboliques. Ces violences ne connaissent ni âge, ni classe sociale, ni niveau d’instruction. Et si la majorité des bourreaux sont des hommes, certains bourreaux sont aussi des femmes, dans des rapports de pouvoir inversés, au sein des familles, des communautés ou des institutions.

Il ne s’agit donc pas simplement d’hommes violents, mais d’un système violent, comme l’explique la sociologue Judith Butler en évoquant la performativité des normes dans la société3 , nous grandissons dans une société qui attribue aux corps, aux rôles, aux genres, des scripts de domination et de soumission. Et parfois, les victimes elles-mêmes finissent par jouer ce rôle qu’on attend d’elles, jusqu’à s’y perdre. Le cas de Diane révèle aussi le vide juridique effrayant auquel sont confrontées les victimes : au Cameroun, il n’existe toujours pas d’infraction explicitement nommée violence conjugale, ni de reconnaissance du féminicide. Nous entamons à peine l’année 2025 et plusieurs femmes ont encore péri sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints, et les affaires se sont accumulées sans provoquer de véritable électrochoc législatif. En refusant de nommer ces violences, la loi les invisibilise. Et ce que la loi n’encadre pas, la société tolère.

Il est encore temps de transformer cette douleur en levier. De dire que la violence n’est pas une affaire privée quand elle détruit des vies. Qu’elle n’est pas une affaire de couple quand elle devient un problème de santé publique. Il est temps d’éduquer, de légiférer, de punir. Et surtout, de protéger. Car le féminicide, les violences physiques, psychologiques, économiques, sexuelles, les mutilations, le contrôle coercitif ou la cyberviolence ne sont pas des faits isolés. Ce sont les symptômes visibles d’un déséquilibre profond, entretenu par un vide juridique inquiétant. Tant que la loi ne reconnaît pas clairement ces violences, elle laisse la porte ouverte à l’impunité. La liberté d’agir des bourreaux naît du silence de la justice. Pour que toutes les « Diane » ne soient pas mortes pour rien, il faut que leurs noms deviennent un repère et une révolte, un cri dans la gorge de toutes celles et ceux qui refusent la banalisation de la violence. Une promesse qu’un jour, aimer ne sera plus synonyme de mourir Ce n’est pas seulement une affaire de justice, c’est une affaire de société. De transformation culturelle. D’humanité. Nous devons tous choisir : laisser le marteau aplatir la voix des victimes ou le brandir pour frapper, cette fois, aux portes de la justice et du changement.

Alors, combien de Diane faudra-t-il encore ensevelir dans le silence pour que la justice entende enfin le cri des vivantes ? Combien de femmes devront fuir se cacher ou mourir pour qu’on reconnaisse que ce ne sont pas des faits divers, mais un système qui tue ? Et si, cette fois, nous décidions de ne plus détourner les yeux ? Et si, cette fois, la vérité survivait au marteau ?

 

 

 

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