Intérêts du Cameroun dans le pipeline tchadien : Quand Paul Biya humilie Adolphe Moudiki

Le chef de l’Etat a désavoué l’Adg de la Snh, en lui demandant de maintenir le représentant du Minfi au sein du conseil d’administration de Cotco. Désormais, l’homme joue seul sa partition dans une histoire de gros intérêts pour lesquels Yaoundé a décidé d’abandonner la partie.

«Faisant suite à la note du 30 mai 2023 que vous adressée à Monsieur le président de la République, j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il instruit le maintien de Madame Manguele Judith dans ses fonctions de représentante du ministère des Finances au conseil d’administration de la société Cotco.» Voilà la quintessence de la correspondance adressée le 8 juin à l’administrateur-directeur général (Adg) de la Société nationale des hydrocarbures (Snh), Adolphe Moudiki. Ledit courrier émane du ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui est également – et ce n’est pas un détail – président du conseil d’administration de la même Snh.

Le 30 mai, M. Moudiki s’était pourtant employé à expliquer pourquoi dame Manguele avait été révoquée de sa fonction au sein du conseil d’administration de la Cameroon Oil Transporation Company, l’entreprise en charge de la gestion du pipeline pétrolier tchadien jusqu’à la côte camerounaise de Kribi (Sud). Dans une longue correspondance au ministre des Finances, Louis Paul Motaze, il explique que Mme Manguele, lors de la session du conseil tenue le 24 d’avant à Paris, «s’est illustrée par des prises de position contraires à celles du représentant de la Snh, manifestant ainsi publiquement une divergence de la partie camerounaise dans ce dossier», où la Snh bagarre ferme contre l’Etat tchadien qui a décidé de nationaliser Cotco.

Mme Manguele ne s’est pas contentée de contrarier l’Adg. Elle s’est alignée du côté tchadien du dossier en prenant, en l’absence de la Snh, représentant les intérêts du Cameroun et qui l’a boycottée, activement part aux assemblées générales ordinaires de la Cotco ayant, écrit-il, suivi la session du conseil d’administration. Cette situation, résume Adolphe Moudiki, «conforte le Tchad dans ses prétentions hégémoniques sur cette société stratégique, et traduit un refus de collaborer avec la Snh, dans la défense des intérêts du Cameroun dans Cotco».

Le Tchad, désormais 53,77%

Ainsi que votre journal l’a déjà relaté, le ton est monté lorsque les délégués venus de N’Djamena ont annoncé la révocation, dans Cotco par l’assemblée générale ayant suivi le conseil d’administration, des administrateurs de Savannah Energy Plc, qui y siégeaient depuis l’acquisition des actions d’Esso Pipeline Investments Limited (Epil) par l’Etat tchadien.

Dans son communiqué triomphaliste, la partie tchadienne indique avoir maintenu le programme des travaux de l’assemblée générale de Cotco, «malgré les manœuvres dilatoires et la tentative de Esso Pipeline Investments Limited (Epil), prétendument détenue par Savannah Energy Plc (qui la nomme Savannah Midstream Investment Limited), pour la faire reporter». L’on y apprend également que, dans l’oléoduc Tchad-Cameroun via les sociétés Cotco Sa et Totco Sa, la République du Tchad et la Sht [Société des hydrocarbures du Tchad] détiennent désormais 53,77% du capital social et des droits de vote de Cotco Sa».

A la suite de ce qu’il considère comme un hold-up, Adolphe Moudiki a écrit au ministre tchadien en charge du Pétrole, Djerassem Le Bemadjiel, pour lui demander de lui faire parvenir, en qualité d’actionnaire de la société Cotco, «les résolutions par écrit, ainsi que la convocation à cette Ag et enfin la résolution du conseil d’administration approuvant l’ordre du jour» de l’assemblée générale évoquée par la partie tchadienne, à laquelle il affirme que le Cameroun n’a pas été convoqué, et donc n’a pas pris part.

Pour l’Adg de la Snh, «au cas où une telle assemblée générale se serait tenue, les résolutions en découlant apparaissent irrégulières, car contraires aux règles statutaires de Cotco sur la convocation et la tenue» de telles assises. Il rappelle aussi que N’Djamena s’était engagé au maintien au sein du conseil d’administration de la représentation des actionnaires de Cotco, la limitation à quatre du nombre d’administrateurs tchadiens, dans ledit conseil, de la rétrocession à la Snh d’une partie des actions de Cotco, et à ne pas faire inscrire à l’ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolutions portant, entre autres, sur la nomination des dirigeants de Cotco autres que les administrateurs tchadiens.

Cavalier seul

Ce dernier rappel bat ainsi en brèche la teneur du communiqué tchadien du même 2 juin, selon lequel «l’assemblée générale a décidé la révocation avec effet immédiat de tous les administrateurs représentant Epil, en ce compris le président-directeur général», Roger Schaefer. Yaoundé, mentionne M. Moudiki, continue de soutenir la position de Savannah Energy qui, en avril 2023 a cédé à la Snh 10% de Cotco pour un montant de 26,8 milliards de francs Cfa. L’on se souvient que cette transaction avait provoqué l’ire du gouvernement tchadien, qui a invoqué «des agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad», amenant ce pays voisin à rappeler en consultation son ambassadeur à Yaoundé.

Pour Adolphe Moudiki, le Cameroun reste dans l’attente du transfert promis par l’Etat tchadien de ses participations au profit du Cameroun dans Cotco, notamment après le rachat des 25% de Chevron en 2014 par la Sht. L’Adg de la Snh demande également, dans sa correspondance, la rétrocession de 20% des 53% détenus par le Tchad dans Cotco. La répartition serait alors de 35,17% au profit du Cameroun et 33,77% pour le Tchad, permettant ainsi le rétablissement d’un certain équilibre d’un pipeline d’une distance de 1080km, dont quelque 903km en territoire camerounais. «Vous voudrez bien, dans l’attente de l’issue de nos discussions portant sur le rééquilibrage, veiller à laisser Cotco fonctionner de manière sereine, afin d’éviter qu’une éventuelle crise dans l’actionnariat, affecte gravement le fonctionnement de cette société stratégique pour nos deux Etats», conclut Adolphe Moudiki.

Comme on peut le constater, l’Adg de la Snh, avec le rappel à l’ordre de Paul Biya, fait plus que jamais cavalier seul, le Cameroun ayant décidé d’arrêter la brouille avec N’Djamena dont l’ambassadeur est revenu à Yaoundé voici une semaine.

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